Jacob de Castro Sarmento et l'introduction des conceptions de Newton en Portugal

Après que le médecin portugais Jacob de Castro Sarmento eut débarqué, en 1721, en Angleterre avec l'espoir, sans doute, d'y trouver un refuge pour sa croyance israélite, ii ne tarda pas à passer de la traditionnelle discipline scolastique ou s'était formé son esprit à celle de ia science anglaise, autrement dit de la conception mécanique rationnelle de la Nature.

Tel Voltaire à son arrivée à Londres, il “trouvait les choses bien changées en philosophie comme dans tout le reste”. Et l'on pourrait dire, en paraphrasant ia fameuse comparaison entre Londres et Paris des Lettres Philosophiques, qu'il laissait au Portugal, cet Univers que quelques-uns, très rares, se représentaient, à la manière des Descartes, comme un composé de tourbillons de matière subtile ou que la plupart des écoles se figuraient comme le théâtre de forces ocultes et qualitatives, et qu'il découvrait, à la place de l'“habituelle et mutile controverse De utrum detur ens rationalis, Universale a parte rei et autres fables du même genre, indignes de l'attention humaine et,du jugement”, pour employer son propre langage, des,esprits passionnés pour l'observation, pour l'expérimentation, pour la déduction mathématique. Le contraste entre ce qu'il abandonnait et ce qui s'offrait de neuf à lui, ainsi que la conversion de son intelligence aux méthodes scientifiques l'amenèrent à jouer auprès de ses compatriotes le rôle d'apologiste et de théoricien de la nouvelle manière d'observer, d'expliquer et de philosopher.

Son premier soin fut d'inciter les Portugais à étudier la philosophie de Bacon. Et cela se comprend. En 1730 Pierre Shaw publiait, avec un extraordinaire succès, la première traduction anglaise des ceuvres completes de ce philosophe. Or, dans les idées et la méthodologie du chancelier de Jacques Ter se trouvait l'explication des récents progrès scientifiques. Aussi étaient-ils nombreux ceux qui, comme Castro Sarmento, estimaient que Newton, «merveille de notre âge», était partisan et un continuateur de Bacon. On s'explique donc fort bien que Castro Sarmento ait voulu introduire au Portugal cette philosophie qui passait pour la méthodologie de l'observation et de l'expérimentation, pour la négation des hypotheses qualitatives et qui venait de donner, dans le domaine des sciences exactes, de si beaux fruits. Dans notre pays régnait encore la Physiqued'Aristote. Le Novum Organon ouvrant la voie à la science moderne, ilfallait, selon Sarmento, que l'on fit, en portugais, une traduction desceuvres de Bacon. Nous ne savons pas de façon süre si Sarmento mena cette traduction à bonne fin ou bien si celle-ci ne put être imprimée pour des raisons d'ordre matériel ou encere si elle se heurta à l'hostilité de certains milieux intellectuels ou soi-disant tels. Toujours est-il qu'il traduisit et fit imprimer en juin 1730 les Propositions de Pierre Shaw en vue de l'impression âes ceuvres de François Bacon. Et dans cetopuscule il exposait le plan de sa traduction d'apres l'édition anglaisede Shaw et annonçait qu'elle serait bientôt sous presse.

L'insucces de cette tentative ne fit pas renoncer Sarmento à ses projets de rénovation de la culture portugaise. II prit par un autre chemin et, faute de pouvoir exposer ses idées phílosophiques, il voulu faire connaitre, du moins, les méthodes scientifiques, leurs résultats et leurs promesses. On le voit engager Ie recteur de l'Université de Coímbre à créer un Jardin des Plantes;' il offre à la même université un microscope, instrument inconnu jusqu'alors au Portugal et, en même temps, il incite les Portugais à observer la Nature et présente les observations scientifiques de ses compatriotes devant la Société Royale de Londres, à laquelle il appartenait.

C'est ainsi qu'il communique aux membres de la célebre Société les résultats de l'observation faite à Lisbonne le 2 février 1730 par le Pêre Carbone pour une éolipse de lune, et à Pékin, le 15 juin de la même année, par les Peres Ignace Kegler et André Pereira, pour une éclipse de soleil, ainsi que la nouvelle de la découverte de diamants au Brésil. Ces communications ont été publiées dans les Philosophical Transactions, de 1730 et 1731.

C'est à la suite de ces communications scientifiques et en publiant, en 1737, en portugais, la Théorique véritable des marées selon la philosophie de l'incomparable chevalier Isaac Newton, que Castro Sarmento est devenu, au Portugal, l'introducteur du newtonianisme. II est permis de croire que ce livre, publié dix ans apres la mort de Newton, est comme l'écho quelque peu attardé de toute cette vaste littérature dont fut saluée la disparition du grand génie anglais et des controverses que susciterent les théories newtoniennes entre les tenants du nouveau systeme et les partisans du cartésianisme. En tout cas, la dédicace de la Théorique au marquis de Cascaís, dans laquelle il invite ce personnage à protéger les nouvelles théories, et le prologue du livre, dans lequel il insiste sur la stérilité de la conception scolastique de la science, sont là pour nous prouver que Sarmento agit bien en exposeur du systeme. Persuadé que les théories de Newton sont l'expression définitive de la vraie philosophie naturelle, Sarmento a écrit une ceuvre de vulgarisation objective, en même temps qu'il a laissé déborder son enthousiasme pour une méthode qui conduit à des résultats merveilleux par les plus simples moyens: rigueur de la précision et adaptation de la mathématique à l'expérience concrete.

En temps qu'ouvrage de vulgarisation son livre explique la théorie des marées et celle de la lune comme des applications du príncipe de la gravitation. Et ce sont là en effet les points capitaux du systeme.

Mais, en faisant la biographie ou, plutôt, l'éloge de Newton, il s'attarde longuement à l'examen de la théorie newtonienne de la Iumiere que, en empruntant la définitíon de Fontenelle, il qualifie de véritable anatomie de la lumiêre. Enfin, désireux d'être compris, il termine son ouvrage par une liste des termes de mathématique, d'astronomie, de mécanique et de chimie, qui est, soit dit en passant, la premiere en date dês nomenclatures scientifiques au Portugal.

Sarmento connaissait les Philosophite Naturalis Principia; cependant sa source princípale semble être l'exposition de la théorie des marées, qu'Edmond Halley publia au numéro 226 des Philosophical Transactions.

C'es ce discours (que le grand astronome avait adressé au roi Jacques II d'Angleterre), ainsi que la machine inventée en 1737 par Desaguliers pour expliquer les phénomenes des marées, qui le pousserent à écrire sa Théorique. Ce n'est done pas comme un créateur, ni comme un critique du systeme qu'íd se présente, mais comme un commentateur qui, soucieux de clarté et en recourant à la représensentation géométrique, entend que son livre soit le premier du genre en Europe à «rendre intelligibles, à tous ceux qui n'ont pu jusqu'alors les comprendre, les écrits et les commentaires de l'illustre Newton et du célèbre Halley”.

La Théorique de Sarmento, qui est un modèle de clarté, est-elle absolument conforme à l'orthodoxie newtonienne? Sans aucun doute, pour ce qui est de l'explication des faits; mais, dans l'interprétation de la définition de la réflexibilité, par exemple, ainsi que l'a observé le professeur Mário Silva, et surtout dans le concept de l'attraction, Sarmento abandonne lia circonspection de Newton, quasi esset attractio, pour suivre Côtes qui, lui, dans la préface de la deuxième édition des Principia, considère l'attraction comme une propriété essentielle et universelle de la matière. Sarmento s'est donc peut-être laissé glisser insensiblemente sur ia pente de la voie métaphysique et dogmatique, pour si étrange qu'il puisse paraitre de voir la coneeption du Dieu géomètre, Pantocrator, associée à un anachronique causal-finalisme. Le savant cédait le pas au croyant.


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