I - Discurso proferido no grande anfiteatro da Faculdade de Medicina de Toulouse, no dia 23 de Junho de 1951

Les premières études que j'entrepris il y a trente-cinq ans au sujet d'Antoine de Gouveia, philosophe et jurisconsulte, me révélèrent l'admirable mouvement de la Renaissance toulousaine. Depuis lors, Toulouse est restée dans mon esprit comme un des endroits privilegies aìx les cultures française et portugaise se sont compénétrées de façon intime et significative. Vous comprendrez donc l'émotion que j'éprouve à me trouver dans un des foyers des pèlerinages intellectuels de ma jeunesse et la joie que je ressens à m'associer aujourd'hui à la commémoration du savant,dont la mentalité exprime remarquablement le sens du particulier et du sensible, le trait le plus représentatif peut-être de l'esprit portugais, et du philosophe dont les exigentes de clarté et de cohérence rationnelle furent le fruit de sa formation française.

Francisco Sanches appartient au Portugal par la nationalité de ses parents, par le baptême de la religion qu'il ne cessa de professer, par les premiers rudiments de son instruction et, peut-être, par son acte de naissance. Il est fils de la France par sa formation intellectuelle et par son activité sociale. Il vécut aux frontières de deux époques, son esprit se développa en des géographiquement et culturellement différents, il pensa philosophiquement, mais avec une intention polemique et, comme écrivain, il pratiqua le jeu déconcertant des interrogations et des oppositions. Le fond intime de sa personnalité nous est inconnu, mais je crois que si la sincérité de ses convictions religieuses épargna à sa conscience les dilacérations de la duplicité et les dissimulations qui torturèrent tant d'expatriés portugais de son temps, la fermeté de quelques certitudes rationnelles étroitement liées à son expérience de médecin, l'ont aussi protégé contre la déviation dans les equivoques de l'ambiguité, les incohérences de la fantaisie spéculative et la stérilité des négations. Il a su ce qu'il voulait, mais ce voulait dire il l'a exprime avec tant de sinuosités, avec tellement de restrictions, que son attitude philosophique a donné lieu à des interprétations divergentes. Les historiens se sont demande si Sanches n'a pas été le dernier des sceptiques anciens ou le premier des sceptiques modernes, s'il a été probabiliste, nominaliste ou empiriste; et, parmi les interprètes de sa pensée, il en est qui le considèrent avant tout comme le critique de la Soolastique tandis que d'autres le présentent comme le précurseur de Bacon, de Descartes, de Comte et même de Claude Bernard.

Le seul rappel de cette diversité d'opinions montre que la position philosophique de Sanches constitue un problème et que ce problème a reçu des solutions variées en raison même de la diversité des attitudes méthodologiques et des appartenances doctrinales.

On a particulièrement insisté sur les rapports de la pensée de Sanches avec le scepticisme ancien et les courants modernes de tendance anti-métaphysique et expérimentaliste, encore que l'on ait oublié les possibles liens avec les philosophies naturalistes italiennes de la Renaissance. En principe, la recherche des sources et l'établissement d'un parallélisme entre les doctrines sont legitimes et parfois indispensables car toute philosophie présente, et présente nécessairement, des connexions avec d'autres philosophies; cependant, j'estime que ce qui importe dans. Pceuvre d'un philosophe c'est son message personnel et non le reflet des messages des autres. En d'autres mots, la pensée de Sanches doit être envisagée essentiellement en fonction des problèmes qui l'ont occupée et du hic et nunc de l'existence vécue par le philosophe luimême. Considérée sous cet angle, il me semble que la pensée philosophique de Sanches s'est constituée polérniquement et n'a pas dépassé le cadre de l'explicabilite scientifique. Son attitude mentale n'a pas été métaphysique mais bien positiviste, si par positivisme on entend la scientification de la pensée et la nécessité de fonder la science sur des bases nouvelles, de telle sorte que la philosophie et la science aient le même objet et se situent sur le même plan. d'intelligibilité.

Si on en juge par les écrits qui nous sont parvenus, Sanches, au lieu d'établir les fondements épistémologiques et méthodologiques de sa conception de la science, s'est attaché presque exclusivernent à réfuter quelques-unes des conceptions qui, à l'époque de sa jeunesse, détournaient l'esprit de Pire ad res pour l'égarer dans les chemins des abstractions et des définitions verbales. Nous savons donc plus clairement ce que Sanches a tenu pour erroné dans la théorie de la science que ce qu'il considérait comme vrai, et nous le savons d'autant mieux qu'il a mis dans la réfutation de l'erreur une vibration passionnée et, d'une certaine façon, ad hominem. Ainsi, le Carmen de Cometa, qui fut son premier ouvrage imprime, a été écrit contre la conception astrologique de François Junctini et son De divinatione per somnum ad Aristotelem, dont la date est incertaine, constitue la réfutation des idées de Cardan, en particulier, sur la légitimité de la prophétie, de l'oniromancie et de la demonomancie. Au lieu de prouver directement que l'explicabilité n'est admissible que sur le plan de la causalité naturelle et à l'état de veille, Sanches a prefere montrer l'inconsistance d'autres conceptions, sans les isoler d'ailleurs de leurs défenseurs les plus en vue.

C'est ce même élan anime,d'esprit polemique qui se revele dans la rédaction du Quod nihil scitur, dont le titre audacieux contribua puissamment à la renommée de Sanches. Par sa critique de l'attitude métaphysique et dogmatique dans Pélaboration de la connaissance scientifique, le Quod nihil scitur est l'expression historique de la crise intellectuelle de la Renaissance. Sous un certain aspect, i1 est un aboutissement; sous un autre, il est un point de départ. D'oü la double face de sa problématique qui, par sa structure, n'est pas d'accord avec les commentaires aristotéliciens de Sanches et, par son sujet, semble avoir été conçue comme une introduction à des livres qui ne furent jamais publiés. Sanches détruit avec l'obstination d'un sceptique et établit des fondements avec la fermeté,d'un dogmatique. Quand il refute, c'est un polémiste adroit qui sait user d'un arsenal riche de ressources; quand il établit, il suggère, avec bon cens plutôt qu'avec profondeur, le cheminement vers la vérité. Si nous laissons de côté la multiplicité des opinions pour observer directement ce que Sanches a écrit, je crois que le Quod nihil scitur est, par son sujet, une critique de la métaphysique considérée comme science fondamentale et constructive de la réalité naturelle et, par sa finalité immédiate, un réquisitoire visant à la rénovation de l'enseignement philosophique à Toulouse.

Se plaçant exclusivement sur le plan rationnel de l'explication, Sanches a compris que la situation de l'époque exigeait qu'on établit les fondements d'une nouvelle théorie de la Science mais, en fait, il ne nous offrit guère plus que la réfutation des théories qu'il tenait pour fausses. D'oà la structure négative du Quod nihil scitur, dont les racines plongent presque autant dans l'histoire assoupie du scepticisme ancien que dans la vive répugnance qu'il éprouvait pour l'atualité de quelques conceptions dogmatiquement artificieuses. On sent parfois que Sanches écrit nerveusement et la nervosité de son style n'est explicable que par le sentiment de quelque chose d'actuel qui résonnait dans son âme avec des accents d'indignation. C'est pourquoi j'ai été amené à admettre que le Quod nihil scitur avait été pensé non seulement contre la dialectique des ergoteurs, mais aussi contre la théorie de 1'Ars combinatoria et mnemonica que Giordano Bruno enseignait à l'université de Toulouse vers 1580 et à laquelle Sanches semble se référer quand il parle de ceux qui fuient « l'examen de la réalité pour créer un labyrinthe de mots, sans aucun fondement de vérité ».


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